L'architecture du cercle
Interview de Patrick Bouchain par Laurent Gachet
Les arts du cirque, par la codification des signes de la représentation, par la définition quasi canonique des espaces et du rituel spectaculaire pourraient, à première vue, être assurés d'une certaine stabilité quant à l'appréhension des paramètres du jeu. Pourtant, la bataille, qui depuis vingt ans oppose anciens et modernes, traditionnalistes et avant-gardistes, demeure vaine, si l'on n'en mesure pas la réelle implication sur ce qui se joue en piste et comment on le montre.
Il est intéressant de constater que ce qui fascine le plus les acteurs des champs artistiques connexes réside dans le pathos véhiculé par l'imagerie des arts du cirque, beaucoup plus que par leur essence. Tel metteur en scène ou tel cinéaste s'attachera à reproduire les éléments symboliques d'un espace éphémère, itinérant et souvent de manière un peu paupériste. La touche fellinienne d'une décrépitude nostalgique n'a pas fini de jouer des tours ! Et s'il ne s'agissait là que de la sublimation d'une certaine condition humaine débarrassée des attributs d'un consumérisme forcené, une sorte de représentation de l'ange déchu, recouvrant une nouvelle dignité dans la recherche éperdue d'une «totale» liberté (?) Artistes de cirque, derniers hommes libres, l'image aurait de quoi séduire, si elle n'évacuait la dimension artistique au profit d'un statut ou plutôt d'une posture sociale. Cependant, cette imagerie circassienne a la peau dure et si elle n'est pas, bien sûr, totalement dénuée de fondement, elle montre à quel point cette forme artistique a des ancrages puissants dans la mémoire collective, obéissant à d'autres enjeux, d'ordre symbolique, que celui de la seule représentation spectaculaire. Dès lors, tout est dans tout, et la modification de l'espace ou de la forme de jeu a souvent de quoi dérouter, voire être hâtivement évacuée par la désormais classique et lapidaire sentence : «ce n'est pas du cirque !». Aujourd'hui, les expérimentations et les recherches, visibles sur les pistes, ne vont pas toutes dans le sens de la dénaturation ou de la déconstruction. Mais elles s'attachent souvent à modifier l'espace lui-même tout en proposant une filiation dans la famille cirque. Ainsi, il n'est pas rare de remarquer des formes dites d'avant-garde, qui ont plus à voir avec une forme théâtrale ou chorégraphique, être farouchement attachées au chapiteau et revendiquer fortement une appartenance au cirque ou tout au moins à ses mythiques signes extérieurs.
On le voit, rarement forme artistique n'a développé autant d'intimité entre son abri ou son édifice et son aire de jeu. L'architecte Patrick Bouchain, constructeur du lieu occupé par Zingaro à Aubervilliers, de la Volière Dromesko et de la Baraque d'Igor, développe des positions un peu en marge de celles habituellement défendues par les architectes. Elles contribuent sans doute à lui conférer un statut singulier de «bâtisseur de l'éphémère»